L'ancienne abbaye

On ne peut pas vraiment dire que mes parents avaient pris l'habitude de m'emmener dans des lieux voués à l'étrange, ce serait nettement exagéré et comme tous les enfants de mon âge j'ai fort heureusement aussi pu fréquenter des endroits classiques comme le Parc Walibi, le Méli de La Panne, la Foire du Midi (où je trouvais néanmoins certaines attractions particulièrement intéressantes !), les Grottes de Han, la cascade de Coo, le zoo d'Anvers, etc. Toutefois, un jour, ils eurent une drôle d'idée.

Ce jour là, nous nous sommes retrouvés aux abords immédiats d'une ancienne abbaye qui n'avait pas grand chose d'intéressant pour un jeune gamin. Des ruines, une vieille tour abandonnée, des escaliers, un parc nu...

Bon, soyons positifs : il y régnait un calme bienfaisant, on pouvait s'y balader tranquillement, la nature environnante était splendide. Mais elle était aussi splendide de simplicité et de banalité. Il n'y avait rien pour s'amuser. Je crois qu'ils s'étaient basés sur une ancienne réputation des lieux, un temps où il y avait là tout de même quelques attractions, un chapiteau avec un orchestre et où on chantait, on dansait, etc. Mais rien de tout cela n'existait, l'époque était révolue.

Il me fallut donc user de toute mon imagination pour mettre la singularité des lieux à profit et me transformer, l'espace de quelques instants, "le mousquetaire près du château de Versailles" ou le "soldat évoluant dans une ville sinistrée par les bombardements". Ces vieux murs, ces vestiges n'évoquaient rien pour moi.

Je ne peux donc absolument pas dire ce qui provoqua cet espèce de vertige qui me gagna soudain. Je ressentis comme un malaise qui me mettait hors du temps. Ce fut très passager et personne ne remarqua quoi que ce soit (du moins est-ce ce que j'ai imaginé). Pendant ce "malaise" (encore que le terme ne soit pas forcément tout à fait approprié) je n'arrivais pas à comprendre ce qui m'entourait, il me semblait que le monde avait changé, très brièvement mais il avait changé. L'air n'avait plus la même consistance, plus la même odeur, je croisais des personnes qui n'étaient pas là l'instant d'avant et qui n'y étaient plus après. Ils ne firent pas attention à moi, mais moi je remarquais que leurs vêtements n'étaient pas pareils. Et puis, comme le phénomène avait cessé, tout reprit comme si de rien n'était.

Nous étions à Cambron-Casteau. Il me fallut environ quarante ans pour pouvoir faire un parallèle...

Sans trop m'en rendre compte, j'avais vécu une expérience médiumnique d'un type un peu spécial. Soit j'avais réussi à me projeter momentanément dans le passé de ces lieux (mais dans ce cas, il me serait absolument impossible de dire comment j'avais bien pu procéder) soit c'était l'un ou l'autre des éléments de ce passé qui était venu jusqu'à moi, ce qui paraît tout aussi invraisemblable. De toute façon, moi je n'avais rien demandé à personne, les informations (pour autant que l'on puisse les appeler ainsi) qui m'étaient parvenues fortuitement ne m'étaient d'aucune utilité. Comme le phénomène avait été de très courte durée (quelques secondes probablement et guère plus) et comme son contenu semblait totalement hors propos, je n'y fis pas plus attention. Affaire terminée.

Affaire terminée ? Voilà qui restait à voir !

Suite.