Centre d'Études et de Recherches

sur les Phénomènes Inexpliqués

L'affaire Milmort (suite 3)


Quelques premières explications du praticien

la deuxième chambre du premier étage, une tête de mort sur la cheminée, mais c'est un jouet Notre praticien s'était effectivement renseigné, il avait bien consulté le Net comme nous le pensions et nos recherches s'étaient croisées. Mais s'il était manifestement tombé sur les mêmes documents que nous en certaines occurrences, en revanche ses interprétations et ses conclusions étaient fondamentalement opposées aux nôtres. Nous ne pouvions toutefois que l'écouter puisque nous n'avions pas l'ombre d'une explication scientifique qui puisse apporter une solution aux problèmes des "victimes" de Milmort. Nous nous sommes donc décidés à l'assommer de questions afin de savoir vers quelles hypothèses on avançait.

Alors P, tu as une piste on dirait ?

J'ai en tous cas une idée, mais il faudra que je puisse la vérifier. Pour le moment cela se présente bien mais je ne veux pas commettre d'erreur.

C'est un truc surnaturel, d'après toi ?

Il est encore trop tôt pour que je puisse me prononcer, j'ai senti un truc dès le départ, dès que j'ai vu les photos et puis plus rien. Je pouvais revoir les mêmes photos autant de fois que je le voulais, cela ne me faisait plus rien. C'est un peu comme si le fait d'avoir vu les photos avait fait comprendre à "quelque chose" que ce "quelque chose" avait vu que je l'avais vu, ou senti. Donc, je serais tenté de répondre par l'affirmative et d'ajouter que ce truc n'est pas du tout invincible. S'il est question de surnaturel là-dedans, prenons le cas d'une possession démoniaque par exemple mais c'est seulement une hypothèse de travail, il ne faut pas me faire dire ce que je n'ai pas dit (ça, c'est l'une des phrases-type qu'utilise notre praticien à tout bout de champ !), l'entité n'est certainement pas de première amplitude.

Entité! Le mot avait été lâché. Nos esprits scientifiques s'érigeaient immédiatement en grands adversaires contre cette hypothèse que nous ne pouvions pas accepter. Mais comme dans l'immédiat nous n'avions rien de mieux à proposer côté scientifique, nous avons décidé de laisser venir, on verrait après.

Que veux-tu dire par là ?

Je veux dire que si mon hypothèse se confirme nous n'avons pas affaire à une entité démoniaque de premier ordre, comme on en voit dans les films à sensation. Il ne s'agit pas d'un démon et encore moins du diable. Si j'avais la certitude que c'était le cas, je vous tirerais ma révérence et vous dirais que je ne suis pas qualifié pour lutter contre ça, cela dépasserait mes compétences et le seul fait de tenter quelque chose dans ces conditions serait très dangereux pour tout le monde, je veux dire autant pour nos clients que pour moi même.

Mais c'est quoi cette entité ? Et qu'est-ce qui te fait dire que c'en est une ?

Hé bien, pour répondre à cette question, il va falloir que je fasse une réponse de Normand. Je sais que cela ne va pas vous satisfaire mais je vous demande d'attendre et vous verrez bien. Je ne peux de toute façon pas vous donner de certitude avant d'avoir pu vérifier moi-même ce que j'avance. Il est plus intéressant, dans l'immédiat, de prendre connaissance d'une légende qui a trait à la région, vous allez voir, c'est très révélateur :

Il s'agit de la légende de Fexhe-Slins...

Quelle région ou village n'a pas de son passé des souvenirs devenus légende ? En cette époque moyenâgeuse, le château de Fexhe-Slins, situé dans le bas du village, était propriété d'un riche seigneur : "Guillaume Delle Thour de Fexhe".
Trois châteaux, trois villages : Fexhe-Slins, Slins et Villers-Saint-Siméon, et dans chaque château, la jeune fille du seigneur. Celles-ci, très amies partagent les mêmes rêves de jeunes filles : leur fiancé. En cette fin d'hiver, les trois couples étaient en haut de la tour du château de Fexhe quand ils aperçurent une troupe conduite par un seigneur tout de blanc vêtu, au casque orné de plumes blanches. Le groupe d'hommes pénétra dans la cour de l'auberge du DRAGON D'OR. Intriguées par cette présence, les demoiselles envoyèrent des serviteurs pour s'informer sur ces voyageurs. Il s'agissait d'un jeune seigneur allemand en exil, dont la tête était mise à prix pour avoir été l'instigateur d'une révolte contre l'empereur. Les domaines du traître étaient offerts en récompense à celui qui le livrerait mort ou vif.
D'abord, on le plaignit d'être ainsi exilé, mais ensuite, on fit remarquer qu'il était coupable et peu à peu on en vint à l'appeler traître et félon. Damoiselle Eve fit remarquer qu'il devait posséder de grands domaines et toutes trois décidèrent d'aider la justice... Les trois prétendants se déclarèrent prêts pour cette aventure et ils organisèrent une expédition pour surprendre le Chevalier dans son sommeil. A l'aube les trois jeunes gens n'étaient pas rentrés... Les jeunes filles, inquiètes descendirent à l'auberge et virent partir la petite troupe et le chevalier portant des taches rouges sur son beau pourpoint blanc. Les jeunes gens ne reparurent ni le matin, ni le soir, ni jamais. Les jeunes filles s'en firent d'amers reproches et de vives tensions naquirent entre les trois familles qui ne se fréquentèrent plus.
Deux ans plus tard, arriva au château de Fexhe un Chevalier du Saint Sépulcre qui demanda à voir le châtelain et sa fille. Il expliqua que son meilleur compagnon avait perdu la vie aux Croisades et qu'avant de mourir il lui avait confié une mission : retrouver sa fiancée.
Il ramenait à la jeune fille la bague qu'elle avait un jour donné à son prétendant. Elle reconnut sa bague et eut toute confiance en ce preux chevalier si bien qu'un jour, on parla de mariage. Une splendide fête fut célébrée et le matin suivant la nuit de noce, les parents inquiets de n'entendre aucun bruit entrèrent dans la chambre et découvrirent la jeune mariée égorgée sur son lit. Le mari lui avait disparu....
Du fait de leur mésentente, les châtelains de Slins et Villers n'en surent rien et quelques temps plus tard, les mêmes événements s'y reproduisirent et à chaque fois la jeune mariée fut étranglée. Le chevalier disparut à jamais ou plutôt, il revient tous les cents ans et toujours à la même époque de l'année, pendant l'Avent.
A la vérité, il n'étrangle plus les jeunes mariées car sa vengeance est assouvie contre tous ceux qui avaient comploté sa perte mais il prend un malin plaisir à mettre le désaccord entre les fiancés de l'Avent.

la photo de la chambre du premier étage, sur laquelle on remarque de nombreuses taches Bon ! Moi je veux bien, mais je ne vois pas ce que cela peut éclairer ! De plus, ce n'est qu'une légende.

Toutes les légendes sont nanties d'un fond de vérité, il ne faut pas l'oublier. L'origine du mot "légende" en latin ne désigne pas une histoire ou une fable, mais "ce qu'il y a à lire pour comprendre". En ces temps obscurs, on utilisait des moyens souvent très détournés pour faire comprendre certaines choses aux gens qui ne disposaient pas toujours d'une éducation très poussée, loin de là. Ce n'est pas pour rien que Jésus Christ lui-même parlait en utilisant nombre de paraboles. Mais j'ai une autre légende à vous raconter et qui vaut son pesant d'or. Écoutez plutôt...

Cette fois, c'est la légende d'Elmer et le loup...

Il y a 1500 années, c'était probablement autour des années 450 après J. C. qu'un événement effrayant se déroula sur le sol hesbignon. En ces temps-là, il n'était guère possible d'y trouver les villages que nous connaissons aujourd'hui. Ainsi, par exemple, Juprelle n'existait pas, et les autres étaient de simples hameaux regroupant quelques chaumières flanquées de minuscules potagers et de petits carrés de terres cultivées. Tout autour, on ne rencontrait que forêts et marécages. Passer d'un hameau à l'autre était une aventure, car les chemins étaient étroits, caillouteux, recouverts d'herbes sauvages et bien souvent bourbeux. Dans les chaumières, les vieux contaient le soir, autour du feu, les horreurs et atrocités commises par les hordes de Germains qui avaient déferlé sur le pays. Cela inspirait la crainte. Personne n'était assuré de la fin de ces invasions. Aussi, à la nuit tombante, avait-on coutume de rentrer les moutons et les cochons et de se barricader de son mieux, pour ensuite invoquer la clémence des dieux du foyer. En cette région, il n'était un soir où une famille ne parla d'Elmer le Loup. Ce n'est pas d'un loup-animal dont je veux parler, ceux-ci rendaient bien sûr les forêts incertaines en ces temps, mais d'un homme. Elmer le Loup s'était installé voici quelques mois dans la région (actuellement on ne connaît plus l'endroit précis, cela pourrait avoir été Couvenailles). Venu avec des bandes dévastatrices germaniques, fort de son glaive et de son invincibilité au combat, Elmer le Loup avait pris comme esclaves des habitants des alentours. Pénible et dure était la vie de ces pauvres gens, vivant enchaînés et sous le joug de ce dictateur sans pitié.
Ce surnom de Loup lui avait été conféré en raison de sa férocité et aussi parce qu'il se couvrait de peaux de loups. Son vrai nom Elmer désignait bien son origine germanique. Tous les soirs, les vilains (c'est ainsi que l'on appelait les paysans d'alors) chuchotaient, serrés et tremblants dans leurs masures. Il y avait des raisons de trembler depuis que le bruit se répandait que le Loup, à la nuit tombante, faisait irruption dans les chaumières semant terreur et panique pour ensuite repartir avec une fille comme butin. Les pauvres vilains restaient impuissants devant la force de ce monstre et n'osaient le poursuivre pour lui arracher la captive. D 'ailleurs, cette entreprise était vaine, seul le Loup possédait un cheval qui, puissant, emportait rapidement son maître et la victime dans la nuit. Nul ne savait ce qui advenait aux filles enlevées, le pire pouvait être suspecté. Au début, les gens espéraient qu'Elmer le Loup se satisferait de quelques filles prisonnières, mais hélas, sa cupidité semblait sans borne. En ces temps là, d'ailleurs c'est encore un peu vrai aujourd'hui, les paysans étaient lents à réagir. Mais après la dixième jeune fille enlevée, les chefs de famille de Fexhe, Lantin, Villers, Wihogne et des autres hameaux environnants décidèrent enfin de s'assembler en secret pour entreprendre quelque action. Les discussions furent âpres et animées, les uns voulant fuir avec leur famille, les autres s'attaquer au monstre ou encore le payer pour qu'il parte.
On comprend les premiers, car aucun ne savait se battre ou ne possédait une arme valable, mais la peine de savoir leurs filles captives les décida finalement à organiser un assaut groupé. Il fut convenu d'une date où la pleine lune les aiderait à surprendre Elmer le Loup dans son sommeil. Le jour venu, accrochés à leurs faucilles, râteaux et couteaux, les pères, le cœur serré par l'angoisse, s'approchèrent du refuge du Loup. Ils se glissèrent à l'ombre des arbres jusqu'à la porte, qui, oh surprise !, n'était même pas verrouillée. Ils eurent à peine franchi le seuil de cette vaste demeure d'origine romaine, qu'un hurlement de rage les figea et cloués sur place par la peur, ils ne purent se défendre des coups que leur portait le glaive d'Elmer le Loup; tous périrent sans même porter un coup, une blessure à celui qu'ils voulaient tuer.
Il n'est pas possible d'imaginer abattement et désespoir plus grand que ceux qui figèrent les familles endeuillées et terrorisées. Chaque mère chercha refuge dans les forêts proches mais le Loup semblait plus avide encore qu auparavant. L'hiver s'installa et avec lui le gel qui figea l'eau des marais et marécages mais aussi le cœur des vilains qui y voyaient un nouvel ennemi. Le seul lien entre les familles était maintenant assuré par des enfants qui en se faufilant entre ronces et buissons pouvaient éviter les chemins dominés par le Loup. Hardis et téméraires comme seuls des jeunes peuvent l'être, ils trouvèrent des voies pour transmettre des messages et unir des cœurs désespérés. Parfois, repérés par Elmer le Loup, ils parvenaient à fausser sa poursuite en se dissimulant dans un arbre ou en se terrant sous un buisson. Parmi eux était un gamin particulièrement éveillé, un lantinois jurent ceux de Lantin, un des leurs certifient les gens de Slins, Voroux, Liers, Paifve et d'autres villages. Voici ce qu'il fit pour se débarrasser d'une façon définitive de ce tyran germanique. Constatant qu'il était possible d'échapper à Elmer le Loup, il s'enveloppa des plus beaux draps, pris l'aspect d'une jeune fille et attendît le passage du Loup. Bravant sa peur, il se planta en plein milieu du chemin et provoqua la poursuite du Loup puis disparut comme il le fit auparavant avec ses copains. Peu de temps après, il se posta en un autre point pour taquiner à nouveau le tyran. Celui-ci, irrité, le visage gonflé de sang, s'élança après cette apparente jolie demoiselle pour à nouveau manquer sa proie. De provocation en poursuite, le gamin amena le Loup dans la zone où actuellement se situe le village de Juprelle, mais en ces temps là, aucune chaumière n'aurait pu y être construite car le sol y était gorgé d'eau, et à maints endroits marécageux interdisant tout accès. Mais c'était l'hiver. La glace portait ce gamin léger mais céda sous le poids d'Elmer le Loup aveuglé du désir de posséder la gracieuse fille se dérobant sous sa griffe. Les pieds prisonniers de la boue, le sang figé par le froid, le Loup rendit son âme noire, déjoué par la ruse d'un gamin.
Très vite, ces faits furent connus des villageois qui envahirent la villa du barbare, délivrèrent les filles et les esclaves et fêtèrent le gamin intrépide.
Si vous me demandez le nom du gamin, je ne saurai vous répondre. D'aucuns prétendent qu'ils s agit d'un Pépin, famille dont descendra plus tard Charlemagne. Mais, Si vous regardez bien dans la région de Juprelle, il y a aujourd'hui encore de ces gamins capables de déjouer un barbare. Une dernière précision, l'endroit où Elmer le Loup périt porte le nom d' "El Meer" . Les étymologistes (personnes s'occupant de l'origine des noms) pensent à tort que cette désignation dérive du nom germanique "El Meer" signifiant marécage. Il vient du nom de ce terrible tyran Elmer le Loup dont vous connaissez à présent l'histoire.

OK. C'est une belle histoire. Mais quel est le rapport avec ce qui nous concerne ?

L'eau, bien sûr ! L'eau, voyons ! Je n'ai pas arrêté de vous le dire...

Et le praticien quitta la place, nous laissant sur notre faim, n'en sachant toujours pas plus long sur cette affaire ni sur ce qu'il aurait bien pu mettre à jour. L'eau ? Oui, l'eau ! Mais quoi, l'eau ?

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