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"La Proie" est un thriller de science-fiction, voire un
thriller scientifique (il y a une nuance importante dans ce cas-ci !) de Michaël Crichton, un nom désormais célèbre et synonyme de qualité. L'auteur de Jurassic Park,
d'Urgences, de la Variété Andromède ou encore de "Harcèlement" pour ne citer que ceux-là, nous gratifie ici encore d'un ouvrage de toute grande qualité, une histoire
hallucinante et pourtant tout à fait à la portée des réalisations humaines, si pas encore d'aujourd'hui (allez savoir ?)
L'histoire se passe aux États Unis, au coeur de la Silicon Valley, puis dans le désert du Nevada, dans et aux abords immédiats d'un laboratoire de recherches ultra secret. Les prémices sont absolument réalistes, les visées industrielles et médicales tendent de plus en plus vers une miniaturisation que l'on constate omniprésente de longue date. Les lois de la concurrence veulent que les sociétés novatrices n'ont pratiquement aucune marge d'erreur, elles sont de plus sujettes à des impératifs temporels extrêmement stricts, six mois suffisent amplement pour connaître la fortune ou la faillite. Tout va vraiment très vite, pas question pour un chercheur en informatique de rester aussi longtemps sur la touche, au terme d'un licenciement par exemple, faute de quoi il devient quasiment impossible de raccrocher au peloton de tête.
L'avenir semble résolument appartenir à un mariage tricéphale entre l'informatique, la biologie et les nanotechnologies. Se baser d'une part
sur des programmes très avancés d'intelligence artificielle, de mémoire distribuée, d'instructions informatiques qui se corrigent elles-mêmes, évoluent même en prenant
exemple sur certains comportements animaux, sur l'évolution, produire ainsi des particules infiniment petites qui se regroupent dans un même but, tel était le sujet de
recherche de la société dont il est question ici. Tout ceci ne va pas sans mal et outre qu'une autre société concurrente la
talonne de près, il faut des capitaux, des investisseurs pour obtenir les crédits indispensables. La société a donc développé d'infimes particules capables de restituer le
rôle d'un oeil, pourvu d'autant de caméras qu'il n'y a de bâtonnets. L'impact scientifique est considérable et le succès assuré : il est désormais possible d'apercevoir,
avec une précision redoutable, l'intérieur du corps humain, bien mieux qu'à l'aide de tous les instruments connus jusqu'alors.
Secrètement, l'armée s'est intéressée à ces travaux car les applications militaires sont extraordinaires ! Il serait possible d'utiliser ces minuscules caméras pour
l'observation de territoires, de positions ennemies, l'exploration très précise de tant de choses que cela deviendrait une "arme" dont l'importance saute aux yeux.
Toutefois, des obstacles se dressent face à la réalisation de ce projet. Comme on pouvait s'y attendre, ces nano particules n'ont pratiquement aucun poids et sont donc très
sensibles au vent, pour pouvoir se déplacer comme il se doit, les ressources en carburant constituent elles aussi un frein notable et puis, il faut que l'ensemble de ces
particules fonctionne parfaitement, selon un mode de vie artificielle intelligent, adaptable, évolutif.
En se basant sur l'étude comportementale des animaux, et dans ce cas-ci plus précisément des insectes et des essaims d'abeilles, la société Xymos où travaillait Jack Forman,
concepteur d'une partie des programmes informatiques, conçoit finalement cette arme redoutable, pratiquement infaillible et contourne les embûches après quelques
tâtonnements. L'épouse de Jack, Julia, travaille toujours dans cette société où elle est même très haut placée. Vu l'importance toute particulière des travaux auxquels elle
se livre et son caractère top secret, elle ne parle à son mari que de l'aspect médical des recherches et de son résultat formidable. Mais elle s'absente aussi de plus en
plus fréquemment, son humeur change, ses réactions sont étranges, Jack découvre qu'elle lui a menti sur certains points et commence à avoir des soupçons quant à sa fidélité,
supposant une liaison amoureuse avec l'un des chercheurs du labo.
Et s'il n'y avait encore "que" cela !
Les événements se bousculent, leur petite Amanda est atteinte d'une maladie aussi spectaculaire qu'étrange qui guérit presque spontanément alors qu'aucun médecin ne peut
trouver quoi que ce soit et que l'examen par IRM met l'appareil en panne. Son frère aperçoit des fantômes dans la maison, de curieux fantômes qui pourraient tout aussi bien
être des hommes revêtus de combinaisons spéciales, on retrouve des objets incongrus dans l'habitation, certains accessoires changent mystérieusement de place, des appareils
tombent en panne car leur puce mémoire a été désintégrée sans que l'on ne puisse y trouver de raison plausible. Pendant ce temps, la personnalité de la belle Julia se
disloque et alors qu'elle prend la voiture en compagnie d'un amant très bizarre aux traits indéfinissables, elle est victime d'un accident de la route duquel elle se sort
par miracle. Mais de trace de l'occupant il n'y en a aucune et Julia est hospitalisée. Sur les lieux de l'accident, on aperçoit
une camionnette bizarre et inquiétante qui s'éloigne aussitôt que Jack s'approche.
Jusque là, le roman est très plaisant, il se lit facilement et se montre très instructif, vraiment passionnant, surtout pour qui aime ce genre scientifique
basé sur des points parfaitement authentiques, tout à fait plausibles. On rentre sans aucun mal dans l'histoire car le personnage central, Jack en l'occurrence, est
momentanément simplement sans emploi, un homme au foyer (Julia travaille chez Xymos) et c'est avec beaucoup de simplicité et de réalisme qu'on le voit empêtré avec toutes
les considérations ménagères. Même les points scientifiques, parfois très pointus, sont présentés très clairement et l'ensemble fait que l'on rentre très facilement dans
l'histoire et pour peu, on s'identifierait au personnage qui gagne immédiatement notre sympathie.
Jack est alors appelé comme consultant chez Xymos. En effet, la société a un problème avec son invention. Certaines matières potentiellement dangereuses ont
été perdues dans la nature, on a retrouvé des animaux morts mais il y a pis. Bien pis à vrai dire puisque l'arme secrète destine à l'armée des
États-Unis, qui se présente sous la forme d'un essaim comparable à celui des abeilles si ce n'est qu'il est composé de
nano particules fortement modifiées et éloignées de leur but médical initial, a reçu un programme informatique calqué sur le mode prédateur-proie afin qu'il ne puisse plus se
détourner de sa mission comme il le faisait dans certaines circonstances.
Avoir affaire à un essaim d'abeilles n'est déjà pas spécialement agréable et même dangereux, mais quand cet essaim est constitué de particules intelligentes qui échappent
désormais à tout contrôle, des particules qui évoluent, s'organisent, innovent, s'adaptent, deviennent même rusées, les choses deviennent franchement périlleuses.
Plusieurs employés en feront d'ailleurs cruellement l'expérience et y laisseront leur peau car, en fait, si on poursuit la comparaison avec l'essaim d'abeilles, c'est bien
d'abeilles tueuses dont il s'agit maintenant !. Et ce n'est pas tout !
Alors qu'au début, ces "abeilles" ne représentaient encore qu'une quantité relativement négligeable, un poids dérisoire et un impact limité, leur évolution est fulgurante :
les essaims se reproduisent ! Et cette reproduction est extrêmement rapide...
Bien vite, le problème se corse (comme le disait Napoléon), ce n'est plus à un seul essaim que Jack et les autres rencontrent mais deux, puis trois, puis quatre, dans
quelques heures seulement ils seront plusieurs dizaines. Des essaims intelligents et rusés donc, qui tendent même des pièges à ceux qui essaieraient de les anéantir.
Dans les conditions présentes, il n'est évidemment pas question d'avoir recours à l'armée et comme l'affaire est top secrète, les chercheurs doivent se débrouiller par
eux-mêmes. Du moins, pour ceux qui sont encore vivants, c'est-à-dire en sursis ! Les choses deviennent vraiment abominables quand l'impossible se produit : les essaims
prennent l'apparence humaine, réalisent des répliques de plus en plus ressemblantes des employés de Xymos. Le danger est partout, implacable !
Ce roman de Michaël Crichton n'est qu'une légère anticipation de recherches authentiques actuellement en cours. La miniaturisation des
composants informatiques n'est plus à démontrer et se fait déjà dans des proportions peu croyables et pourtant bien réelles. Les possibilités de programmes évolutifs ont
déjà été mises en oeuvre et ce type de programme est déjà utilisé de nos jours. L'application industrielle sur base des études comportementales de certains animaux n'est
aucunement une nouveauté et nombre d'espèces arrivent parfaitement à supplanter les réalisations humaines alors qu'elles ne sont pas régies par une hiérarchie particulière,
ne comportent aucun chef défini. S'il fallait par exemple mettre une termitière à l'échelle humaine, elle dépasserait
- et de loin - en taille et en complexité les plus grands gratte ciels et cela sans l'aide du moindre architecte. L'ingéniosité des abeilles et son esprit de corps
sont remarquables. On reste béat devant les ruses astucieuses et incroyables de simples fourmis qui parviennent à rendre une surface glissante dans le but de faire chuter
un adversaire (ou un intrus) bien plus imposant et avoir finalement gain de cause grâce au nombre de ses individus. Dans un mode de folie des grandeurs, on a peut-être trop
longtemps sous estimé l'infiniment petit. Ne suffit-il pas d'un minuscule virus pour terrasser un athlète ?
Et en guise de conclusion, nous reprendrons les citations du livre :
"...D'ici cinquante à cent ans, nous verrons probablement apparaître une nouvelle classe d'organismes. Ces organismes seront artificiels dans le sens où ils auront été conçus par l'homme. Mais ils auront la capacité de se reproduire et ils "évolueront" vers autre chose que leur forme originelle; ils seront "vivants" dans les différentes acceptions de ce terme... Le rythme sera extrêmement rapide... Les conséquences pour l'humanité et la biosphère pourraient être énormes, plus importantes encore que la révolution industrielle, l'arme nucléaire ou la pollution de l'environnement. Nous devons d'ores et déjà prendre des mesures pour préparer les conditions de l'apparition d'organismes artificiels..."
J.Doyne Farmer et Alleta Belin, 1992
"...Nombreux sont ceux, moi y compris, que les conséquences prévisibles de cette technologie emplissent d'un profond malaise.."
K. Eric Drexler, 1992
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