De nombreux parents, intrigués par ce qui semble
devenir un nouveau phénomène de société, nous ont posé la question : "pourquoi
les enfants aiment-ils les monstres ?"
Il y a en effet de quoi se poser la question tant ce
phénomène se remarque dans la vie de tous les jours. Jadis, les enfants
s'amusaient avec de sages poupées, des voitures miniatures, des trains
électriques... aujourd'hui, ils n'hésitent pas, lors de la fête d'Halloween, à
se déguiser en divers monstres célèbres (Dracula, Frankenstein, le "monstre" de
Scream), ils mettent des masques d'extra-terrestres avec transformateur de voix,
raffolent des dinosaures de Jurassic Park, de bêtes terrifiantes telles que
Godzilla (King Kong étant lui-même dépassé), ne reculent plus devant des films
d'horreur (quand ils ne réconfortent pas eux-mêmes leurs parents : "mais maman,
voyons ! Ce n'est qu'un film !).
Nous sommes d'accord pour dire que les goûts et les couleurs ne se discutent pas
et qu'il faut de tout pour faire un monde mais n'y a t'il pas quand même moyen
de s'étonner lorsque l'on voit un gosse jouer avec une peluche au poil hirsute,
dont la gueule s'ouvre sur deux rangées de dents pointues, en un rictus menaçant
et qui profère des grossièretés, des insultes, tel un infâme Gremlin (ah ! En
voilà encore un !). Le massacre s'arrête heureusement lorsque l'enfant parvient à
menotter le monstre qui (re)devient alors doux comme un agneau et pleurniche
pour qu'on le délivre, grandes promesses de sagesse à l'appui... pour recommencer
aussitôt si l'on accède à ses désirs évidemment (vous avez dit "comme l'enfant" ?
ou bien ai-je mal compris ?
On ne nous fera pas croire que des fabricants se sont
spontanément lancés dans la fabrication de tels jouets sans être sûrs que leur
produit se vendrait. De même, les producteurs de films ne considèrent pas le
jeune public comme quantité négligeable, ce qui n'a pas empêché l'abondance de
longs métrages à la sauce ketchup accompagnés d'effets spéciaux terrifiants.
D'ailleurs, les salles de cinéma ne sont-elles pas aussi plus tolérantes quant à
l'accès des enfants à leurs salles obscures ?
Il fallait donc que tout cela réponde à une réelle demande pour satisfaire le
besoin de rentabilité ou, disons-le autrement : il fallait que le jeune public
ait évolué, soit qu'il ne soit plus aussi impressionnable soit que les sujets
susceptibles de l'impressionner aient changé.
Mais qu'en est-il exactement ?
"Usure du pouvoir"
Frankenstein
(le monstre, pas le savant), tout couturé et boulonné est certes toujours très
laid (et encore ! vous ne connaissez pas ma concierge !), mais il faut bien dire
qu'il ne fait plus trembler personne. Après le 236.674éme remake de Dracula, le
célèbre vampire issu de l'imagination de Bram Stoker a perdu son titre de Prince
des Ténèbres : on a fait beaucoup plus terrible entre temps ! On pourrait
multiplier ce genre d'exemples à l'infini. C'est ce que nous appellerons
"l'usure du pouvoir". Comme on s'habitue à tout, même au pire (malgré que
l'arrivée de ma feuille de contributions me donne toujours des sueurs
froides...) un autre phénomène bien connu surgit : celui de la surenchère ! Il en
faut plus, toujours plus, plus sanguinolent, plus violent, plus spécial, plus
horrible quoi... C'est donc l'une des raisons pour laquelle nos anciens fantômes
vaporeux, passe murailles enchaînés (ou même déchaînés) manquent de consistance
aux yeux de nos chères petites têtes blondes (ceci dit pour sacrifier à
l'expression consacrée, comme si elles n'étaient toujours que blondes !) Et donc
rien de tel qu'un bon gros dinosaure, en chair et en os, qui détruit tout sur
son passage !
Cependant, se contenter de cette seule explication serait extrêmement simpliste.
"La fête à la peur"
A
condition de bien s'y prendre et aussi bizarre que cela puisse paraître, on peut
tout à fait prendre plaisir à se faire peur. Il y a parfois des moyens très
détournés pour arriver au plaisir. Mais ne nous hasardons pas sur un terrain
glissant qui nous éloignerait du sujet. Or, existe t'il une fête plus adéquate
que celle d'Halloween pour en traiter ?
Il y a quelques années à peine, il fallait parcourir de nombreux kilomètres pour
participer à ces réjouissances d'apparence macabre et certains n'ont pas hésité
à franchir l'Atlantique pour trouver l'ambiance citrouilles et potirons (c'est
le pourquoi du dicton "j'irai où mes potes iront" !). Aujourd'hui, la fête
d'Halloween s'est semble t'il parfaitement intégrée dans nos moeurs. Mais
celle-ci n'a t'elle pas aussi contribué à l'essor du phénomène dont il est ici
question ?
En effet, et c'est bien le but, en "jouant à se faire peur", en
jonglant avec "l'art de faire peur-pour-rire", on parvient à tourner les sources
de terreurs en dérision et donc à les désarmer, les désamorcer. C'est d'ailleurs
bien ce qui se passe. Pendant Halloween, on s'émerveillera probablement devant
un décor particulièrement réussi, on appréciera une ambiance joliment rendue
mais inoffensive, on récoltera plein de friandises aux couleurs assorties, on
participera bien sûr au thème majeur mais il est beaucoup moins probable que
l'on arrivera à faire réellement peur à quelqu'un. En fait, la peur la plus
réelle se trouvera sans doute chez les parents (la traversée des rues, la nuit
tombée, présente des risques quand on sait que fiston déguisé en Dracula, est
tout de noir vêtu - par ailleurs le thème et l'ambiance ainsi que l'obscurité
sont propices à d'autres tragédies qui n'ont rien de surnaturel et sont le fait
d'adultes... monstrueux, mais dans un autre registre !)
Tout ceci est pourtant encore insuffisant pour justifier l'attirance des
enfants pour les monstres.
Une évolution
Il
ne faudrait pas perdre de vue que nous sommes au 21ème siècle et que, en
relativement peu de temps, bien des choses ont changé. Quand j'étais tout petit,
la lune était encore inaccessible. Russes et Américains se disputaient la
conquête spatiale mais on était loin d'imaginer que des... Belges iraient faire
un tour dans le coin ! L'ordinateur fonctionnait encore avec des lampes et des
cartes perforées. Quand on avait la chance d'avoir la télé, elle était en noir
et blanc, il n'y avait pas d'autoroutes et la plupart des voitures dépassaient
rarement les 100 km/h.
Par ces simples souvenirs, on mesure le chemin parcouru et, dès lors, il n'est
pas étonnant que la jeunesse ait aussi évolué.
Les enfants d'aujourd'hui sont donc tout simplement plus instruits qu'avant et
si on peine toujours sur les tables de multiplications (pourquoi les apprendre
puisqu'il y a des calculettes ?) en revanche on manie souvent mieux le clavier et
la souris, voire les logiciels et leurs commandes que le paternel !
Soit, ils ont donc généralement plus instruits et donc aussi moins naïfs
qu'avant. La plupart du temps, ils ont aussi bien fait la distinction entre la
laideur et les conséquences des actes. Comprenons le message de la manière
suivante :
"Nous [les enfants] avons compris que la laideur n'est qu'une partie
éventuelle du caractère monstrueux, que ce caractère n'est d'ailleurs
ni indispensable ni obligatoire, c'est le pouvoir qu'ont les choses qui peut
faire d'elles des "monstres".
Disons-le autrement : les extra-terrestres ne sont pas des monstres parce
qu'ils sont tout verts et portent tentacules et mandibules (ça ce serait
plutôt leur côté "marrant") mais parce qu'ils peuvent lire dans nos pensées, se
livrer à des expériences scientifiques sur des humains qu'ils traitent en
cobayes, qu'ils peuvent nous désintégrer ou disposent d'armes terribles que nous
ne maîtrisons pas...
De même, les dinosaures sont bizarres par leur gigantisme et leur morphologie
mais aussi et surtout parce que leur force dépasse largement tout ce que
n'importe quel animal actuel pourrait faire.
Les limites
Au delà de ce qui vient d'être exposé demeure un autre point qui mérite notre
attention et qui est parfaitement le reflet de notre société débridée : les
enfants ont besoin de limites !
Chacun sait que, dès la naissance, l'enfant commence à prendre conscience du
monde qui l'entoure. Une expérience parfois douloureuse qui lui apprend que les
choses ont une forme, un début et une fin, que les objets tombent généralement
de haut en bas et qu'il vaut mieux ne pas être cet "objet" si on se trouve dans
les escaliers. L'enfant va ainsi aussi très vite se rendre compte que certaines
choses sont acceptées et d'autres lui sont refusées, d'autres encore ne sont que
tolérées jusqu'à un certain point... une limite. L'enfant s'oriente aussi dans
l'espace : la gauche, la droite, ce qui est (plus) grand ou ce qui est (plus)
petit "que", c'est une relation de comparaison. Au fur et à mesure de ses
progrès, il apprend que certaines limites peuvent être beaucoup plus éloignées
et il peine logiquement à les percevoir ! En effet, alors que cela dépasse
parfois même l'imagination des adultes, comment expliquer à un enfant que les
dinosaures ont disparu depuis des millions d'années ? Qu'ils ont existé avant que
l'homme ne soit sur terre ? Comment simplement lui faire assimiler qu'un
dinosaure, un seul, pouvait être plus grand que toute la maison dans laquelle il
se trouve ? Cela suscite son étonnement, son incompréhension tout autant que son
besoin de superlatif, mais cela ne répond toujours que fort peu à ses
interrogations. La curiosité (enfantine) fait le reste : "je ne comprends pas, je
ne parviens pas à m'imaginer, mais je VEUX savoir ! Donnez-en moi donc les
moyens : montrez-en moi ! Que je puisse me les représenter!
C'est donc ainsi qu'avec toute la ténacité que les enfants peuvent déployer,
ceux-ci s'intéressent d'une manière qui nous paraît... euh... démesurée (?) aux
choses qui surpassent momentanément leur entendement. Le phénomène sera
d'ailleurs encore exacerbé par la force des choses lorsque l'on achoppera
inévitablement sur d'autres limites : vous ne passez pas vos vacances aux Galapagos, moi non plus ! Ce qui se trouve dans les livres, en photos ou en
dessins n'est pas représentatif ou insuffisamment parce que "à l'échelle", le
musée d'histoire naturelle est intéressant mais ce ne sont que des squelettes et
ça ne bouge pas (bon ! Cela donne une certaine idée, d'accord. Mais non !
Décidément non : on ne peut pas y retourner tous les jours de la semaine et le
week-end en prime ! et de toute manière ce n'est pas ça non plus qui va les
ressusciter, Dieu merci !), comme l'expression verbale est également
insuffisante, que reste t'il sinon le cinéma ?
De l'humour et de l'amour
Nous le disions plus haut : les monstres ne sont pas des monstres seulement parce
qu'ils sont laids. La beauté est d'ailleurs un concept tout relatif (si vous
avez des doutes à ce sujet regardez donc ma concierge, ensuite regardez-vous
dans le miroir. C'est fait ? Bon ! Maintenant vous avez compris le mot
"soulagement" !) et puis, vous ne trouvez pas ça marrant, vous, une crête dorsale
constituée d'épines empoisonnées ? En tous cas, cela peut servir à se débarrasser
de ceux qui veulent casser du sucre sur votre dos, non ?
Mis à part ceux qui sont vraiment très laids, bêtes et méchants, il existe
quantité d'autres monstres : - le monstre gentil (Eliott et le dragon; E.T)
- le monstre râleur mais comique et costaud (Shrek)
- le monstre informatique (qui ne se voit pas mais fait beaucoup de dégâts)
- l'intouchable (le monstre du Loch Ness)
- le prof de maths (il a encore frappé !)
- etc.
On a servi à nos enfants toute une panoplie de monstres qui peuvent être
attachants parce qu'ils ont de l'humour (les dinosaures complémentaires dans
Picha, l'androïde de la Guerre des Étoiles,
la sorcière contaminée par Merlin l'Enchanteur transformé en virus, Frankenstein
Junior...) ou qu'ils sont des "gentils monstres", parce que certains monstres
peuvent aussi se montrer serviables, voire même adorables (E.T; les Gremlins).
Et disons aussi, pour terminer, que certains monstres sont "attachants" parce
qu'ils ont la bonne idée de mourir à la fin. Il faut aussi laisser la place aux
super héros et aux happy endings.
N.B : Malheureusement, il existe aussi une triste variété de
monstres : les immortels/indestructibles. Ceux-ci ont la fâcheuse tendance de
donner naissance à de navrantes suites de films. Dans ce cas, pour en être
débarrassés, VOUS devez être le super héros et ne regarder que la première et la
dernière version. Les autres versions ont toutes les chances de s'éloigner du
monstre et de se rapprocher du navet.