Faut-il le dire, le jour même au soir
(voir page précédente), j'avais pris connaissance de la totalité
du rapport du Patriarcat gallican, Évêché de Fleurus, Diocèse du Hainaut et, directement - ou du moins à la seule condition de s'y
connaître un tant soit peu en la matière, mais de toute façon la grande majeure partie du texte était compréhensible de tout un
chacun) - la conclusion était claire et nette : tout ce qui était en relation avec les exorcismes était bidon. Ce qui toutefois ne
signifiait pas ipso facto que ces événements soient insignifiants ou n'aient aucune importance, loin de là !
Afin de compléter mes informations sur le sujet, j'avais pris
contact avec l'un des gendarmes premiers intervenants, le doyen de la paroisse, le professeur Dierkens et d'autres encore et le constat
était affligeant : sans prétendre que l'Évêque n'ait pu être pris de compassion face au désarroi des habitants et que sa foi lui ait
dicté d'agir afin de lutter contre leurs souffrances, il coulait de source que l'opération avait été ponctuée de nombreuses manigances et/ou supercheries.
Mais nous allons procéder par ordre et méthode en évoquant d'abord l'exorcisme pratiqué par le père Samuel, qui d'ailleurs était de la
même région globale que son confrère (nous sommes allés jusqu'à faire des études graphologiques sur base d'échanges entre eux, mais cela n'a rien apporté de probant).
Le cas du père Samuel, qu'il est préférable de nommer ainsi plutôt que par son vrai nom, à savoir : Charles Clément Boniface Ozdemir
est vite classé. En effet, l'ecclésiastique en question avait agi de sa seule initiative, dans une intervention dont la bonne foi
n'est pas mise en doute. Mais les occupants de la maison lui avaient refusé d'ouvrir leur porte, contraignant ce dernier à agir
depuis l'extérieur. Le père Samuel intervenait sans caution de l'Église ou, en tous cas, de l'évêché de Tournai. Il était en désaccord avec sa hiérarchie catholique depuis
1990 et la validité de ses sacrements était contestée. une coupure de presse de l'époque (L'Instant du 14 janvier 1993) en dit long :
(...) "Le 8 janvier, habitant Gosselies (Charleroi) et opposé à l'évêque de Tournai, une barbe à la Saint-nicolas et le crucifix à
la main,le père Samuel se présente chez les D. pour exorciser le démon de la maison. Mais ces derniers n'ouvrent pas la porte
au curé. En fait, le père Samuel a été amené sur place par le journal La Dernière Heure, préoccupée moins par l'exorcisme
que par la publication d'une photo."(...)
Pour nous, les choses sont claires : un exorcisme ne se pratique pas à l'extérieur mais bien en présence directe de l'intéressé et en
respectant une procédure ad hoc. Si, en plus, les sacrements de l'officiant sont contestés et l'individu controversé, il n'est
nul besoin d'aller chercher plus loin.
On dit souvent qu'il vaut mieux
s'adresser au bon Dieu qu'à ses saints mais en l'occurrence l'expression était mal choisie pour évoquer mon entretien avec l'évêque, Monseigneur
Meurant. Ben tiens ! Certains points n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd et j'avais remarqué que, dans l'émission de Baudouin Cartuyvels du 17 janvier 93
il était dit qu'en attendant de pouvoir pratiquer le grand exorcisme lui-même, Monseigneur Meurant avait bien été obligé de se contenter de
recueillir des objets maléfiques et des substances néfastes qui se trouvaient, on ne sait trop comment, dans la maison et de bénir le
bâtiment (cet épisode à lui seul méritera d'être comparé avec le témoignage de l'un de nos gendarmes) pour les soumettre à l'analyse.
Pour la circonstance, Vladimir Verovacki s'étonnait à juste titre que ce genre d'opération se déroule avant même l'intervention des
scientifiques. Pour ma part, je désirais en savoir plus sur ces objets et le résultat desdites analyses.
Or donc, je téléphone et, en m'adressant à un évêque, je ne m'attends pas à l'avoir en ligne directe mais plutôt à devoir patienter voir de
postposer l'entretien. Pourtant, je tombe directement sur sa femme (ou sa compagne), ce qui ne manque pas de m'étonner dans un premier
temps, mais je retombe très vite sur mes pattes puisqu'il s'agit d'une Église dissidente, une forme de protestantisme, le mariage y est
autorisé. D'après ce que j'entends en fond sonore, je ne peux pas confondre non plus avec une éventuelle secrétaire, mais peu importe
donc... Et quelques secondes plus tard à peine, j'ai Monseigneur Patrick Meurant en ligne.
Je me présente comme il se doit, avec les formules de politesse qui s'imposent et présente l'objet de ma requête : j'enquête sur l'affaire
d'Arc-Wattripont. Ma première question ne semble guère le tracasser :
"Vu le black-out et la confidentialité des médias (qui ne donnaient pas le nom de famille des propriétaires mais
l'abrégeaient en D.), comment avez-vous été mis au courant de l'affaire ?
La réponse est facile : "par les médias, comme tout le monde !"
"Ah ! Ce n'est donc pas votre hiérarchie
qui vous a renseigné ou dépêché sur place ?"
"Non, pour la première intervention cela s'est fait un peu à mon initiative. Mes fonctions et mon empathie ne me permettaient pas de rester
indifférent face au désarroi des habitants".
"OK. Mais comment avez-vous pu obtenir les coordonnées des habitants ?"
Je décèle un ralentissement dans la suite questions/réponses :
"Je me suis adressé à un service de presse, lequel vu la nature de mes fonctions, n'a pas fait de difficultés pour me donner les coordonnées
des Dubart. Je dois bien avouer qu'il ne m'a pas été facile de convaincre les habitants, d'ailleurs le service presse en question m'a
souhaité bonne chance car les habitants ne désiraient recevoir personne"
"Et comment avez-vous réussi à les convaincre ?"
Hésitation légèrement plus marquée. Je comprends que l'interlocuteur "sent" venir l'oignon...
"Vous savez... quand c'est un évêque et non un simple curé qui s'adresse à vous, ce n'est pas la même chose. Cela a déjà un peu
impressionné les habitants qui ont jugé bon de m'accorder une oreille plus attentive. J'ai expliqué que j'appartenais à l'Église
catholique apostolique traditionnelle gallicane"
De mon côté j'imaginais bien que les Dubart ne l'avaient pas écouté jusqu'au bout et que les mots "Église catholique apostolique" auront
suffit à les rassurer. Qu'elle soit gallicane ou pas importait peu, ce qui avait marqué le coup c'était "Église catholique". En
fait, il s'agissait donc d'une petite astuce, surtout que finalement elle s'annonçait bien "gallicane". Il n'y avait donc même pas de
mensonge par omission. Mais en même temps astuce il y avait. Cela me mettait la puce à l'oreille.
"Dans l'émission Controverse, vous apparaissez auprès d'Éric Barbé et, entre autres, du professeur Dierkens, que je
connais très bien. Il a aussi été question d'objets maléfiques ou de substances, peut-être même les deux, qui auraient été apportées chez
les Dubart à leur insu (ce qui serait alors le cas d'une intervention humaine, certes mal intentionnée, mais non surnaturelle : seule
l'influence éventuelle des objets en question étant en cause). Mais je n'ai trouvé aucune trace de la liste des objets emportés et je ne sais
pas non plus qui a procédé à l'analyse en vue de leur neutralisation. Pouvez-vous me dire ce que ces objets sont devenus, qui s'est occupé de
l'analyse et quels en ont été les résultats ?"
"Oui, tout cela a été transmis au professeur Dierkens dont le fils est pharmacien. Vous devriez donc lui demander ce qu'il en est des
résultats en ce qui concerne l'analyse."
"Vous avez donc décidé de pratiquer l'exorcisme sans encore avoir les résultats en question ?"
"Vous savez, dans l'état où se trouvaient les choses, quand on voyait les souffrances d'Éric, on comprenait qu'il était nécessaire d'agir sans
plus attendre !"
"Oui, je vois, en effet. Je vous remercie Monseigneur, je ne voudrais pas abuser de votre temps que j'imagine
précieux et..."
Comme je m'apprêtais à prendre congé de mon interlocuteur, je jouai mon petit Colombo :
"Oh ! A propos... quel était donc le service de presse qui vous avait renseigné sur les coordonnées des
Dubart?"
Là, il y eut une hésitation plus marquée mais la réponse vint et, par la même occasion, elle marqua le point final de la discussion.
Le service de presse était clairement celui de la chaîne de télévision dont l'un des journalistes m'avait massacré !
A la suite de cet entretien, je pris contact avec le professeur Dierkens. Ce
dernier fut catégorique : il n'avait jamais reçu quoi que ce soit de la part de l'évêque, ni de liste ni d'objets, maléfiques ou non et, cerise
sur le gâteau : il n'avait pas de fils pharmacien !
Là, il y avait de quoi se poser des questions : pourquoi l'évêque devait-il se
prêter à un tel mensonge ? Par ailleurs, si l'on peut accorder à un pharmacien les compétences nécessaires afin de procéder à une analyse
chimique de certaines substances et peut-être de certains objets, on imagine bien moins que ses compétences aillent jusqu'à la neutralisation
de sources de maléfices. J'imagine mal que cela figure dans le cursus universitaire de la fonction ! Et encore moins à partir du
moment où aucune personne n'a reçu quoi que ce soit afin de travailler dessus.
Mais le récit du gendarme premier intervenant valait aussi son pesant
d'or en matière d'invraisemblances.
"Très tard dans la nuit, alors que j'étais de patrouille, j'étais repassé par la maison "hantée et avais vu de la lumière. J'ai pris sur moi
d'aller sonner à la porte pour voir si tout allait bien. Cela n'aurait pas été très bien vu de mes supérieurs qui auraient sans doute
mal apprécié que j'accorde apparemment trop d'intérêt à cette affaire. Ça aurait pu leur paraître suspect.
C'est ainsi que j'ai vu ces gens qui accompagnaient l'évêque. Comme je leur demandais ce qu'ils faisaient, ils m'ont répondu qu'ils
exorcisaient la maison. Je leur ai alors demandé comment ils savaient qu'ils devaient l'exorciser et ils m'ont répondu : "parce que la
maison pleure !" Là-dessus, je leur ai bien sûr demandé ce qu'ils entendaient par là et ils m'ont alors montré les gouttes d'eau qui
suintaient sur les plinthes. C'était absurde parce qu'ils pouvaient avoir aspergé le local d'eau bénite, il pouvait s'agir
d'humidité. Ils m'ont alors montré un grand S qui apparaissait sur la buée du miroir de la chambre : le S de Satan ! Mais n'importe
qui aurait pu profiter de ce que j'observais les plinthes pour dessiner un S avec son doigt ! J'ai contrôlé les identités à tout hasard et suis
parti, laissant ces gens libres d'imaginer ce qu'ils voulaient. Pour moi qui avais assisté à des scènes autrement plus convaincantes, je
me suis dit qu'on nageait en plein délire. Mais après tout... si cela pouvait calmer les choses..."
Ce témoignage ne faisait que renforcer la méfiance vis-à-vis de ces exorcismes et il était facile de contrer
les arguments de l'évêque qui notait :
"(...) une montée d'eau d'une origine plus qu'inconnue - dans les coins
de la chambre et une moisissure instantanée sur les murs et un froid anormal dans toute la pièce"(...)
Son importance semblait ici démesurée car elle pouvait s'expliquer par une humidité ascensionnelle (remontée
capillaire) qui se manifeste particulièrement dans les maisons anciennes suite à des problèmes d'étanchéité, de manque de chauffage et de
ventilation, tout en provoquant l'apparition de salpêtre. La couche pulvérulente blanchâtre qui apparaît ainsi se présente parfois
sous la forme de poils blancs qui pourraient être confondus avec des moisissures. Quant au froid anormal relevé dans la pièce (qui
confirme le manque de chauffage !) souvent évoqué dans les films, il convient de rappeler que nous étions là au cours du premier mois de
l'année, lors d'un hiver rigoureux. Dès lors, on pouvait supposer que les D ont fait comme à peu près partout chez les gens du petit peuple : ils chauffaient les
pièces principales, mais pas les chambres par souci d'économie. Après un séjour plus ou moins prolongé au rez-de-chaussée, l'entrée dans la chambre donnait une forte impression
de froid. Mais ceci n'avait strictement rien de surnaturel. Malheureusement, cette constatation ne mettait à mal que la peinture de
la carcasse du surnaturel, lequel était bien trop puissant pour céder face à des tentatives aussi insignifiantes.
Pour le moment...
(extrait du livre : "Le poltergeist d'Arc-Wattripont, vérité, scandale et désinformation" (Edts le temps
présent, collection fonction psi, p.92 et 93.