Centre d'Études et de Recherches

sur les Phénomènes Inexpliqués

Investigation-1

« En quoi cela consiste-t-il ? » demanda la mère.

« Par exemple, vous m’avez signalé des pièces dans lesquelles la température était anormalement basse. Nous allons donc utiliser le thermomètre pour voir ce qu’il indique. Il faudra bien que je prenne quantité de photos en espérant prendre l’une de vos entités en flagrant délit de violation de domicile. Je vais placer quelques appareils de manière à pouvoir enregistrer des communications TCI (TransCommunication instrumentale) et ces enregistrements seront soumis à analyse dès mon retour en Belgique. À l’aide d’un multimètre, je vais aussi prendre toutes sortes de mesures : la luminosité, le nombre de décibels, la pression atmosphérique, etc. Je verrai en outre si j’ai moi-même un ressenti particulier et si le pendule confirme quoi que ce soit. Mais il ne s’agit là que d’exemples ».

« Vous considérez le pendule comme un instrument scientifique ? »

« Dans l’optique actuelle, ce serait presque faire insulte à la science, madame. Jadis, des médecins établissaient pourtant leurs diagnostics de cette manière. O tempora o mores ! Peut-être un jour cette même science comprendra-t-elle que l’être humain est aussi une sorte de capteur universel beaucoup plus élaboré qu’il ne paraît et que son entourage lui livre quantité d’informations que le pendule ne fait qu’amplifier et mettre en évidence par le biais d’échelles appropriées… »

« Par où commençons-nous ? »

« Je vous propose d’attaquer directement dans le vif du sujet. Nous allons donc visiter votre chambre et celle d’Océane et poursuivre par « le grenier maléfique », ensuite nous passerons le rez-de-chaussée en revue. Nous ferons un petit tour au jardin et nous explorerons votre cave. »
L’escalier qui mène à l’étage est très traître et étroit, l’enquêteur doit y évoluer voûté. On pénètre dans la chambre des parents qui ne présente rien de particulier à première vue. Mais dès que l’on entre dans la chambre d’Océane, c’est le choc !

On ressent immédiatement une impression étouffante de saturation de rose et de noir qui met mal à l'aise. Il y a vraiment quelque chose d'irréel ici. Ce sont bien sûr des "couleurs comme les autres" (bien que le noir ne soit pas une couleur sur le plan scientifique, mais plutôt l'absence de couleur) mais leur omniprésence quasi absolue parvient difficilement à se laisser assimiler par un esprit humain, totalement désarçonné par ce qui lui semble un accident, un agencement impossible, anti-naturel à défaut d'être vraiment surnaturel.
Le flash crépite, des clichés sont pris sous tous les angles, dans toutes les directions. Ce rose et ce noir partout donnent mal au cœur, ont tendance à rendre malade, Océane y trône, sur son terrain, à l'aise. Mais le photographe ne perd pas pied et recommence, sans flash cette fois, puis en augmentant la luminosité, en utilisant tous les réglages possibles, ou bien sans aucun réglage. On va plus loin encore : on fait prendre les mêmes photos par Madame E. et par Océane elle-même, à la seule différence près que ce n'est pas avec leur appareil, mais celui du CERPI. Il n’y a aucun orbe et les habitants s’en étonnent. La sorcière, qui a ici été décrite comme impossible à photographier sans son consentement est à nouveau piégée, capturée par surprise dans le reflet du miroir de la garde-robe. MVB lui présente le résultat, un peu amusé de son petit tour de passe-passe et il pousse le bouchon jusqu’à taquiner l’émule de Madame Mime :

« Vous êtes très photogénique. Vous faites bien de vous constituer un book, mais méfiez-vous du milieu de la mode et des photographes, il en existe de véreux aux intentions peu louables. Je ne dois pas vous faire un dessin… Par contre, on peut facilement voir que vous avez un reflet et je peux donc vous annoncer une grande nouvelle : vous n’êtes pas non plus un vampire (in petto, il se dit : « une vamp, sans aucun doute, mais pas une vampire…) »

La jeune fille ne peut s’empêcher de pouffer, bien qu’elle vienne de subir une nouvelle défaite. Mais MVB remarque un détail qui lui semble intéressant dans la chambre d’Océane : un poster d’Indochine. « Voilà qui est intéressant ! dit-il ».

La mère d’Océane intervient alors pour signaler qu’un magnétiseur lui a dit que ce poster était une porte vers l’enfer. Cela fait sourire l’enquêteur qui répond calmement et gentiment :
« Madame, pensez-vous sérieusement que si vous affichez le poster d’une cabine téléphonique anglaise dans votre chambre que vous pourrez y entrer, décrocher le combiné et appeler quelqu’un ? Je suis désolé de vous contredire, mais il serait facile de vous démontrer qu’il ne s’agit que d’un bout de papier et que derrière celui-ci, il y a le mur, rien d’autre ! »
Madame E. est contrariée, probablement parce que l’enquêteur se montre trop rationnel, mais elle ne peut que se rendre à l’évidence : ses propos sont remplis de bon sens. Il prend ensuite tout le monde tellement à contre-pied qu’il marque là un point important. En football, on dirait qu’il a fait le break :
« J’ai demandé à la lune… et le soleil ne le sait pas… »
En fredonnant ces paroles bien connues du groupe Indochine, mère et fille s’animent simultanément et s’apprêtent à reprendre en chœur, mais le chanteur improvisé change subitement de titre et poursuit :
D’un pas hanté vers la lumière, aujourd'hui Anne entre dans le monde… onze étoiles au clair de terre vers la beauté à l'infini des ondes… »
C’est maintenant le silence qui règne dans la chambre d’Océane, « un ange passe » … Mais l’enquêteur poursuit :
« Au cœur des fleurs elle découvrira qu'il y avait une barrière entre elle et moi, un manteau de nuit recouvre maintenant ta petite vie et je m'attacherai à toi pour que tu ne t'envoles pas - Anne et le monde - Anne et moi… »
« Je suppose que je ne suis pas tenu de reprendre la chanson jusqu’au bout, vous l’avez identifiée, non ? »
Océane abonde dans le sens de son visiteur, elle complète :
« et seule vers les moissons du ciel, aujourd'hui Anne entre dans la fronde, déroule ses habits dans sa maison, ses poupées dans des sabbats brouillons ; Un manteau de nuit recouvre maintenant ta petite vie et je m'attacherai à toi, pour que tu ne t'envoles pas, - Anne et le monde - Anne et moi…"
Non, en effet, cela ne sera pas nécessaire, je les connais toutes par cœur. »
« Et donc, vous connaissez aussi : « Anne cherchait l’amour… » ? »
« Je vous ai dit que je les connaissais toutes… »

Le leader du CERPI laisse encore passer un angelot, puis, non sans ménager un certain effet théâtral, il pousse l’estocade :

« N’évoquiez-vous pas une dualité entre votre mère et vous, Océane ? » Et il ne lui laisse pas le temps de répondre, il ajoute :
« Vous le savez bien : votre maman s’appelle Anne.. »

Petit clin d’œil entendu.

La « sorcière » accuse le coup mais repart courageusement à l’assaut :
« Vous n’allez pourtant pas tout expliquer avec des chansons ! Vous n’expliquez d’ailleurs rien du tout… »

Là, l’investigateur se permet de changer de registre et, sans doute pour détendre l’atmosphère d’une note un peu exotique aux oreilles de ses hôtes du pays de Molière, répond avec l’accent typique de Bruxelles : « Non, peut-être ! » ce que tous les bruxellois connaissent comme une manière un peu humoristique et très personnelle d’exprimer un « oui » ou le « si » contradictoire. Aucune confusion en la matière et malgré que cela n’appartienne par à leurs habitudes linguistiques, le ton est sans équivoque et ils comprennent parfaitement. D’ailleurs, il décide de continuer dans le même filon :
« Océane ? Ton adresse email ou plutôt ton pseudo, n'est-il pas une allusion à Marilyne Monroe, qui est un peu ton idole ou ton modèle ? La belle blonde n'a-t-elle pas connu un mariage le même jour que la date de ton anniversaire ? Marilyne ne suscite-t-elle pas aussi le mystère au travers de sa fin tragique (le côté noir) et n'a-t-elle pas posé nue pour un magasine, pour 50 € ? C'est le côté rose. Mais Là aussi, il y a ambiguïté : car c'est aussi Marilyn Manson ton idole, avec Indochine comme on peut le voir sur le poster de ta chambre. Là aussi il y a la provocation et c'est le côté noir. Indochine, c'est aussi révélateur de ton goût pour les philosophies asiatiques et le parfum de mystère ou de merveilleux qui s'en dégagent. Océane, tu es une fille hyper sensible, fragile et perfectionniste, tu ne supportes pas la critique, le jugement..."

Océane est vraiment soufflée et ne peut qu'esquisser une moue à la fois intriguée, confuse et admirative :
"Mais comment savez-vous tout ça ?"

« Je crois que ce n’est pas par pur hasard si je suis à la tête du CERPI… D’autre part, je suis aussi un peu médium. Mais il y a finalement très peu de médiumnité dans ce que je viens de faire. C'est surtout de l'observation et de la psychologie, de la déduction et de la logique, mais j'ai touché juste, non ?"

"Ah ben, pour ça, oui ! Plutôt !"

"…Et je pourrais probablement dire plus de choses sur toi que tu n'en pourrais dire toi-même !"
Alors allez-y donc ! » (Le ton de la jeune fille a complètement changé, il ne dénote plus aucune méfiance. Elle est libérée et enthousiaste, la métamorphose saute aux yeux).

Mais l’enquêteur préfère approfondir son investigation et, avec le même esprit d’à-propos que précédemment, il lance : « Nous allons plutôt explorer le grenier et ses fameuses méchantes petites poupées, little doll …"
Il se retourne pour juger de l’effet qu’a provoqué ses dernières paroles et voit Océane pâlir sous son maquillage rose et noir et anticipe toute réponse de sa part : « oui, je suis assez content du triple jeu de mots, ou de la lecture à trois niveaux : « Little Doll » (petite poupée, en anglais) est encore un titre d’Indochine, pas vrai ? C’est même l’un de leurs derniers" (ce l’était en tous cas à l’époque).
Comme tout grenier qui se respecte, celui-ci propose son bric-à-brac traditionnel. Un billard américain, des armoires (dont une sur laquelle une photo envoyée au CERPI présentait un orbe d'un type très particulier), une crèche de Noël, des poupées en quantité, aux yeux "malsains", un peu comme dans certains de ces films où des poupées sont animées d'un esprit malveillant. Océane est fille unique, Madame E. n'a pas pu avoir d'autre enfant et en a perdu plusieurs en couches, la compensation semble évidente et il doit y avoir dans ce grenier beaucoup de souvenirs symbolisés. Mais on y trouve aussi quelques armes asiatiques réelles, lourdes, pointues, tranchantes, provenant de brocantes et donc de sources incertaines.

Toutefois, l'atmosphère semble comme viciée d'après le ressenti de notre officiant. Pour lui, il est clair qu'il y a un malaise dans ce grenier qui communique avec la chambre d’Océane et présente des points de convergence et de dualité entre la fille et sa mère. Entendons-nous : il est tout à fait normal qu'une maison dans laquelle se trouve une fille comporte un certain nombre de poupées. Leur surabondance étonne toutefois mais certains en font collection. L'esprit collectionneur dénote malgré tout un caractère passionnel et il est assez facile de trouver ici des relations de cause à effet.
« Il n'y a ici rien de grave, se prononce l’enquêteur, mais quand même une EPS (entité polymorphe secondaire)[5] ou même quelques entités néfastes dont je vous débarrasserai tout à l'heure, leur présence se sent très bien, c'est indéniable et cela n'a rien à voir avec l'air confiné de la pièce ».
Ici, le leader du CERPI frime un peu. Il joue sur un autre plan psychologique, par anticipation.
Madame E. est à la fois inquiète à l’idée que des présences hostiles soient bien présentes, rassurée de savoir que son interlocuteur va pouvoir y remédier et confortée dans son opinion qu'il se passait bien quelque chose de pas normal dans sa maison. Encore fallait-il mettre le doigt dessus. Mais le cas échéant, cela ne résout pas tout ! Loin de là.

Avant de redescendre, le « gorille » s'adresse à la "sorcière" et lui dit :
« Manifestement, vous avez bien suivi mes conseils : on trouve un peu partout sur les murs de ces affichettes que je vous ai communiquées par email. Elles sont impuissantes à régler votre problème en profondeur et donc à vous en débarrasser définitivement, mais elles aident à vous reconstituer sur le plan du taux vibratoire. Il n’est pas étonnant que vous ayez subi des tensions ces derniers jours et je crois avoir compris la nature de votre problème. Nous allons redescendre au rez-de-chaussée, je vais terminer la prise de paramètres et vous donner toutes les explications requises. Je terminerai en vous débarrassant de vos « occupants » indésirables et vous devriez désormais être tranquilles. À moins bien sûr que je ne découvre encore autre chose. Pour en revenir aux affichettes, leur symbolique indique clairement qu’Océane n’est ni possédée ni même seulement une sorcière. Voilà qui répond à votre question de tout à l’heure, mademoiselle : je ne suis pas simplement tombé au bon moment, les représentations sont présentes ici depuis plusieurs jours, en permanence. Cela vous aurait été insupportable, à un moment où un autre, si vous aviez été possédée… »

Toute la famille visite donc alors le reste de la maison et monsieur accompagne. Ni la cave ni le jardin, ni même les toilettes ne sont négligées. L’enquêteur bombarde ses hôtes de questions et les choses se précisent progressivement. Mis à part certains éléments qui devront encore faire l’objet d’analyses particulières en labo, tous les paramètres sont pris et, finalement, ne relèvent rien d’extraordinaire. À aucun moment un objet quelconque ne s’est déplacé tout seul, aucune télévision, aucune radio ne s’est mise à fonctionner sans qu’on ne lui en donne l’ordre, aucun orbe n’apparaît sur aucune photo, quel que soit le réglage ou la personne qui les prend. Température, luminosité, bruit ambiant, etc. sont parfaitement normaux. Parfois même les constatations qui sont faites vont-elles à l’encontre des doléances des requérants. Et ces derniers n’y comprennent rien, d’autant que ces phénomènes étaient permanents. Les choses se passent exactement comme si la venue de notre enquêteur, sa seule présence, générait une « protection » ou une barrière contre les influences présumées (fait déjà maintes fois observé !).

Le leader du CERPI explique que, dans un sens, c’est bien un peu cela qui se passe : certaines personnes disposent de taux vibratoires élevés qui repoussent naturellement entités néfastes et autres influences dommageables. Il a souvent remarqué le phénomène : appelé sur des lieux réputés fortement hantés, avec des manifestations quotidiennes et permanentes, il lui suffisait de passer la porte pour que « les chiens » se réfugient sous les armoires, effrayés comme par temps d’orage. Mais lorsque des entités sont réellement présentes, il ne faut pas crier victoire pour autant. Sans pouvoir présumer de leurs stratégies éventuelles, on suppose qu’elles se font alors beaucoup plus discrètes, cessent même toute activité en guise de camouflage ou de prudence. Elles observent aussi leur opposant afin de le jauger et si elles sentent qu’il n’est pas de taille ou que l’issue de l’affrontement pourrait tourner en leur faveur, elles ne tardent pas à repasser à l’attaque, parfois directement après le départ de l’enquêteur, ce que les requérants ne manquent pas de constater avec la frustration et l’énervement que l’on imagine et d’attribuer cela aux lois de la contradiction universelle.

Avant de se réunir à la table du salon pour les grandes explications, Monsieur prend notre enquêteur à part et lui dit :
« Je vous avoue que vous avez fait beaucoup d’effet sur Océane. Je ne sais pas comment vous vous y êtes pris, mais vous nous l’avez métamorphosée ! Je crois que vous avez touché avec beaucoup d’habileté aux endroits sensibles. En tous cas, elle m’a dit : « J’adore ce monsieur » ! Venant de sa part, c’est vraiment extraordinaire, surtout considérant son comportement de ces derniers jours. Si elle n’est pas une sorcière, vous, vous êtes bien un magicien ! »
« Oh cela n’a rien de magique, monsieur. C’est juste une bonne dose de psychologie et pas mal d’esprit de déduction. Il faut savoir lire les gens, parfois même en filigrane. Mais vous n’êtes pas au bout de vos surprises et il y a encore du travail car je vous dois des explications. Et puis, je dois m‘occuper de vos « passagers clandestins » …

[5] Voir l'affaire Milmort

SUITE - PRECEDENTE - HAUT - SOMMAIRE - ACCUEIL